9 livres que la rédaction de “Philosophie magazine” vous conseille d’emporter en vacances
Vous faites vos bagages et vous ne savez pas quoi emporter à lire cet été ? Neuf journalistes de Philosophie magazine vous livrent leurs conseils : entre classiques de la philosophie, poésie inspirée et romans contemporains qui donnent à penser, voici neuf conseils – subjectifs – pour vous aider à passer les plus belles vacances possibles.
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“Le Rire de la Méduse et autres ironies” (Galilée, 1975), d’Hélène Cixous
Attention à cette lecture, vous risquez de finir piqué(e) ! Mais du genre de morsure qui vous réveillera du poison du patriarcat, quand bien même votre cerveau estival ne serait branché que sur le ressac et la météo marine. Lorsqu’Hélène Cixous, écrivaine, universitaire et critique littéraire française, convoque la figure mythologique de Méduse, c’est pour encourager les femmes à trouver leur forme d’expression propre : à écrire, chanter ou hurler, histoire que personne ne puisse faire semblant de ne pas entendre. Le langage et le corps sont une arme – même en bikini.
Victorine de Oliveira
“La Maison des marées” (Albin Michel, 2005), de Kenneth White
Comme bon nombre d’entre vous, je prendrai la route pour la Bretagne cet été. Dans ma valise, j’emporterai du Kenneth White. Écrivain nomade d’origine écossaise, poète et essayiste influencé par Nietzsche, Heidegger ou Deleuze, il est le créateur de la « géopoétique », qui entend « densifier chez l’être humain sa présence au monde ». En 1983, envoûté par la Bretagne, il y pose ses valises. La Maison des marées raconte son installation, ses vagabondages à travers le pays armoricain, ses rencontres avec les marins et les fantômes qui hantent « les lieux déserts, les conditions élémentales et la pierre brute ». Dans une prose simple célébrant la beauté du quotidien, Kenneth White donne à entendre la « musique pure du paysage qui n’annonce rien ».
Octave Larmagnac-Matheron
“Consolation de la philosophie” (v. 524, Payot-Rivages, 2020), de Boèce
Nous sommes en 524 après J.-C., à Pavie, en Italie. Boèce croupit dans une prison. Accusé de complot par le nouveau maître d’Italie, l’Ostrogoth Théodoric, ce fin lettré passé par la politique renoue avec la philosophie païenne. Entre deux séances de torture, il imagine un dialogue avec la Philosophie, qu’il personnifie : « Il était difficile d’évaluer sa taille ; tantôt elle se réduisait aux mensurations humaines habituelles, tantôt elle donnait l’impression de se cogner la tête contre le ciel. » À travers leurs discussions imaginaires, Boèce tente de se consoler de son sort en explorant les champs du savoir et de la morale — le tout, de mémoire ! Une leçon de courage qui illustre avec lyrisme la puissance de la pensée face à l’arbitraire politique.
Alexandre Jadin
“L’Aventure, l’Ennui, le Sérieux” (Flammarion, 1963), de Vladimir Jankélévitch
Il y a des livres, comme celui-ci, qui donnent du relief et une saveur nouvelle à l’existence. Grand créateur de personnages moraux, Jankélévitch nous emmène à la découverte de « l’aventurier », ce téméraire qui « brûle de faire ce qu’il redoute le plus ». Avec sa plume généreuse, l’auteur égrène les péripéties que l’on peut traverser au cours d’une vie : de « l’aventure mortelle », qui finit parfois en tragédie, à « l’aventure amoureuse » des personnes qui se perdent dans les méandres de la passion. Passés les grands frissons du risque, le philosophe arpente les terrains secs et hostiles de « l’ennui » et du « sérieux ». On ferme le livre galvanisé et charmé, avec l’impression d’avoir touché du doigt les grands moments de la vie, entre allégresse et mélancolie.
Clara Degiovanni
“La Perfection inhérente à la vie” (ENSBA, 2013), d’Agnes Martin
C’est un petit livre que l’on m’a offert et que j’ai envie d’offrir à tout le monde depuis. La peintre canado-américaine Agnes Martin, dont les toiles abstraites ornées de motifs fragiles et de lignes rappellent les cahiers des écoliers, prend la plume pour célébrer La Perfection inhérente à la vie. Ce recueil d’aphorismes et de conférences, rédigés comme des poèmes en prose, mélange réflexions sur l’esthétique, éloge du « potentiel » de chacun et sentences sur la « sublimité » de la vie. Si l’absolu est « hors de notre portée », il ne faut pas se priver de le chercher : « Puis j’ai dessiné tous ces rectangles / Tous les gens étaient comme ces rectangles / Ils sont exactement comme l’herbe / C’est le chemin de la liberté. » On respire.
Ariane Nicolas
“Ce que je ne veux pas savoir” (Éditions du sous-sol, 2013), de Deborah Levy
Ce roman autobiographique commence comme les autres œuvres de Deborah Levy, et notamment Le Coût de la vie (2018, trad. fr. 2020) : on y découvre une femme d’une cinquantaine d’années, secouée par un divorce, drôle, indépendante, cultivée, créative, d’une énergie débordante dans le rire comme dans les larmes. Et puis, il se passe un truc qui n’était pas prévu. Elle évoque ses années d’enfance en Afrique du Sud, et la longue disparition de son père, militant anti-Apartheid envoyé au cachot. À partir de là, l’autrice britannique, également dramaturge et poétesse, approfondit sa réflexion de manière extraordinaire et répond à la question de George Orwell : « Pourquoi j’écris ? »
Alexandre Lacroix
“L’Œil et l’Esprit” (Gallimard, 1964), de Maurice Merleau-Ponty
C’est le dernier texte publié du vivant du philosophe français, mort quelques mois plus tard, à 55 ans, d’un arrêt cardiaque. Installé pour l’été au Tholonet, à côté d’Aix-en-Provence, dans la maison d’un peintre et dans le souvenir de Cézanne, il reprend à la racine, à partir du reflet des feuilles d’un arbre dans une pièce d’eau, son inlassable interrogation sur ce que c’est que voir, sentir et habiter un paysage. Et c’est comme si nous étions là, à ses côtés, à sentir et à méditer, sur cette « étincelle » du sentant et du sensible qui s’allume dès que surgit un corps, « jusqu’à ce que tel accident du corps défasse ce que nul accident n’aurait suffi à faire ».
Martin Legros
“Sur le théâtre de marionnettes”, Heinrich von Kleist (1810, Sillage, 2010)
Vous marchez seul(e) sur la plage. Vos mouvements sont fluides, votre démarche chaloupée, vos traits détendus. Surgit alors un groupe de vacanciers, dont certains vous regardent. Subitement, vos membres se raidissent. Vos pas se font moins assurés. Que s’est-il passé ? Vous avez perdu la grâce, dirait Heinrich von Kleist. Dans son essai Sur le théâtre de marionnettes, le dramaturge allemand s’interroge sur ce à quoi tient le charme du naturel, et comment l’homme peut renouer avec la beauté une fois les êtres humains chassés du jardin d’Éden. Un essai court et lumineux, à lire nu(e) au soleil !
Anne-Sophie Moreau
“Cours de philosophie en six heures et quart” (1969, Payot-Rivages, 1996), de Witold Gombrowicz
Une histoire de la pensée moderne en accéléré, c’est ce que propose le génial écrivain polonais Witold Gombrowicz. Ce passionné de philosophie s’est rendu compte, quelques mois avant sa mort, que donner des cours à ses proches était son seul remède contre la douleur. De Kant à l’existentialisme, en passant par Marx ou Heidegger, il montre que depuis trois siècles, nous réduisons le pouvoir de la pensée et exaltons celui de la vie. Ça va vite, donc, mais cela n’empêche par le facétieux Gombrowicz d’expliquer la pensée de Hegel en la comparant à la visite d’une cathédrale, ou de fustiger le moralisme de Sartre. A dévorer sans se chronométrer.
Michel Eltchaninoff
Et si vous souhaitez trouver d’autres inspirations pour vos lectures estivales, rendez-vous dans notre rubrique livres, où nous chroniquons les ouvrages philosophiques parus récemment !

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