Apparence soignée, projets de mariage, homosexualité refoulée : la vie intime d’Emmanuel Kant
Il passe pour un célibataire endurci qui méprisait le sexe, et il mena une vie monacale dédiée à la raison. En se penchant sur l’ensemble des sources existantes, il apparaît que le penseur de Königsberg, qui prenait grand soin de son apparence, a eu quelques velléités de se marier. Et qu’il entretint des relations affectives ambigües, y compris avec certains de ses amis masculins. Octave Larmagnac-Matheron a mené l’enquête.
« Kant […] ne s’est jamais marié et […], à notre connaissance, n’a jamais eu de relations sexuelles », écrit Manfred Kuehn dans Kant: A Biography (2001). Faute d’indices – même dans sa correspondance, le philosophe de Königsberg est avare en confidences, et il ne dit rien ou presque de sa vie privée –, l’on en conclut en général qu’il finit sa vie vieux garçon. N’est-ce pas aller un peu vite en besogne ? Si La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant (1999) est un canular érudit attribué à l’auteur fictif Jean-Baptiste Botul, Frédéric Pagès y glisse cette remarque qui ne laisse pas d’être vraie : « Cet homme a vécu avant de devenir célèbre, c’est-à-dire avant l’âge de soixante ans ! Quand il n’était que “Magister”, il fréquentait les auberges, jouait au billard, parfois très tard dans la nuit. » Peut-on se résoudre à ce que celui qui eut, peut-être le premier, l’idée d’un objet aujourd’hui si investi par l’imaginaire érotique – le porte-jarretelles – n’ait jamais goûté au plaisir de la chair ? Lançons-nous dans l’enquête. Si les minces éléments condamnent souvent à quelques surinterprétations abusives, celles-ci seront au moins l’occasion d’essayer d’imaginer Emmanuel Kant (1724-1804) un peu autrement qu’à travers le portrait sévère que la tradition brosse de lui.
Le charme kantien
Comme le note tout aussi justement Pagès, si Kant n’avait « pas un physique de séducteur », « il n’a pas laissé les femmes indifférentes ». Les hommes non plus. Dans le petit texte biographique qu’il compose après la mort du maître, son disciple et secrétaire Reinhold Bernhard Jachmann (1767-1843) s’exclame :
“Où trouver les mots pour vous décrire son regard ! Les yeux de Kant semblaient faits d’éther céleste, d’où jaillissait visiblement le regard profond de son esprit, dont le rayonnement ardent était voilé par un léger nuage. Il est impossible de décrire l’effet envoûtant que son regard a eu sur moi lorsque je me suis assis en face de lui et qu’il a soudainement levé ses yeux baissés pour me regarder. J’avais toujours l’impression de regarder à travers ce feu bleu semblable à de l’éther dans le saint des saints de Minerve”
Reinhold Bernhard Jachmann, Emmanuel Kant raconté dans des lettres à un ami (1804)
Kant, en société, est également considéré comme un homme assez élégant – quelques-uns l’ont parfois qualifié, avant l’heure, de dandy (Aude Lancelin et Marie Lemonnier parlent de « dandy universitaire » dans Les Philosophes et l’amour). « Mieux vaut être un imbécile avec style qu’un imbécile sans style », disait-il à ses élèves, selon Kuehn. C’est à ses yeux notre « devoir de ne pas donner une impression désagréable […] aux autres », raconte un autre disciple, Louis Ernest Borowski, dans sa Description de la vie et du caractère d’Emmanuel Kant. S’il « ne voulait pas être habillé à la dernière mode », « il disait qu’il ne fallait jamais avoir une tenue négligée, et qu’on devait faire très attention au choix des couleurs », en observant les accords chromatiques de la nature, des fleurs en particulier. « Sa toilette était très soignée, sauf ses chapeaux. » Jachmann, de son côté, décrit un mélange singulier de monotonie et d’originalité :
“Il mettait tous les jours les mêmes vêtements et il achevait de les user dans sa salle de cours. Kant n’avait dans son aspect extérieur aucun caractère de pédantisme, il estimait qu’il fallait s’arranger avec la mode régnant dans la société polie. Cette mode, il ne la suivait pas servilement, mais toujours selon son goût particulier, et il affirmait ainsi sa personnalité”
R. B. Jachmann, op. cit.
Ehrgott André Wasianski, encore un autre élève de Kant, ajoute dans Emmanuel Kant dans les dernières années de sa vie : « Jusque dans les derniers temps de sa vie, il ne jugeait pas convenable de paraître à table en robe de chambre, même devant ses intimes. » Un poète danois témoigne encore de ce souci esthétique du « maître élégant » en 1791 (Kant a alors 67 ans) : il est « réjouissant que Kant préfère une élégance quelque peu exagérée à la négligence vestimentaire ».
Séductions avortées
Bref, Kant avait du charme. N’aurait-il donc conquis aucun coœur ? Une lettre de Marie-Charlotte Jacobi, la « princesse », envoyée en 1762 a suscité quelques interrogations :
“Je me suis occupée à confectionner une dragonne [un ruban pour épée d’apparat] qui vous est dédiée. J’espère votre compagnie pour demain après-midi. ‘Oui, oui je viendrai’, vous entends-je dire. Eh bien ! nous vous attendrons donc et ma montre sera remontée, pardonnez-moi ce rappel. Mon amie et moi, nous vous transmettons un baiser par sympathie”
Lettre de Marie-Charlotte Jacobi datée de 1762, adressée à Emmanuel Kant et citée par Jean-Baptiste Botul (pseudonyme de Frédéric Pagès) dans La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant (1999)

L’Église catholique a un problème avec l’homosexualité, difficile de ne pas le reconnaître. Encore récemment, une note de la Congrégation pour la…

Axelle Jah Njiké, créatrice du podcast Me, My Sexe and I, prône l’émancipation par l’intime. Journal intime d’une féministe (noire) (Au diable…

Il vous est arrivé de passer une soirée entre amis malgré le couvre-feu ou de retirer votre masque dans la rue sans y être autorisé ? Aussi…

Le projet de loi ouvrant le droit au mariage homosexuel sera présenté en Conseil des ministres le 31 octobre. 61% des Français y sont favorables, selon un sondage Ifop pour Le Figaro réalisé en octobre 2012. Mais est-il apte à répondre…
Philosophie magazine Éditeur fait paraître le 4 octobre “Le Corps des femmes. La Bataille de l’intime”, un livre dans lequel Camille Froidevaux…

Dans Doctrine du droit, qui débute la Métaphysique des mœurs, Emmanuel Kant défend la peine de mort, au motif que le châtiment doit être égal au crime. Un argument simple, difficile à contrer.
À quoi bon jouer à cache-cache avec le réel ? C’est le sentiment d’être trompé par les apparences qui est un leurre.