CCRU : ils ont rêvé d’un autre monde
Dans les années 1990, un centre de recherche expérimental anglais, le Cybernetic Culture Research Unit (CCRU), produit une pensée critique du capitalisme et des nouvelles technologies dans une effervescence de culture pop. Trente ans plus tard, ces idées subversives continuent d’influencer la sphère politique et notre quotidien.
Existe-t-il une logique du chaos ? La question se pose depuis la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Longtemps soupçonné d’appliquer la « stratégie du fou », qui vise à déstabiliser son adversaire par son imprévisibilité, il se pourrait que le président américain ait bien plus de suite dans les idées. Sa complaisance pour la violence, qu’il n’hésite pas à attiser comme en témoignent l’insurrection au Capitole ou sa réaction face aux récentes émeutes en Californie, et son inclination pour l’autoritarisme pointent vers une autre hypothèse : moins le jeu de la folie qu’une politique de la crise, poussant aux extrêmes et menant à la sécession. Dans l’entourage du chef d’État américain, nombreux sont ceux qui croient en effet à la vertu d’une exacerbation des tensions pour ébranler la démocratie au profit de l’émergence d’un homme nouveau, augmenté par la technologie. Ce scénario digne de la science-fiction a convaincu l’entrepreneur Peter Thiel, le conseiller politique Steve Bannon ou encore Elon Musk, qui a fait sien le mantra de la Silicon Valley : « Move fast and break things » – « aller vite et faire de la casse ». Tous partagent l’idée que la société est enkystée par les valeurs d’égalité et de solidarité, freinée par l’idéal de progrès hérité des Lumières. Tablant sur une rupture technologique, ils entendent rendre « le monde sûr pour le capitalisme », en sapant l’État social et ses réglementations. Et « périssent les faibles et les ratés ! » pour le dire comme Nietzsche, qui compte parmi leurs références.
Les dates clés du CCRU… et de son héritage
1995 Fondation de la Cybernetic Culture Research Unit (CCRU), à l’Université de Warwick
1997 Sadie Plant, cofondatrice du CCRU, démissionne de l’université de Warwick
2003 Dissolution du CCRU
2009 Mark Fisher fait paraître Le Réalisme capitaliste. N’y a-t-il pas d’alternative ?
2012 Nick Land rédige sa série d’articles sur les « Lumières noires »
2013 Nick Srnicek et Alex Williams publient Accélérons ! Manifeste pour une politique accélérationniste
2014 Parution de #Accelerate. The Accelerationist Reader, une généalogie de l’accélérationnisme faisant la part belle au CCRU
2017 Suicide de Mark Fisher
2025 L’intégralité des articles de Mark Fisher paraît en français dans un volume intitulé k-punk
Cette idéologie réactionnaire prend paradoxalement sa source à gauche, en Angleterre. Pour y voir plus clair, il faut remonter le temps, un quart de siècle, et se rendre au nord-ouest de Londres. À l’université de Warwick, un cercle d’universitaires versés dans les nouvelles technologies fonde au tournant du XXIe siècle un éphémère mais foisonnant centre de réflexion, une unité de recherche sur la culture cybernétique mêlant théorie critique de la société et création d’utopies technopolitiques, sur fond de musique électronique. Mutation du capitalisme, singularité technologique et anxiété face à l’avenir sont déjà leurs sujets de préoccupation. Confidentiel mais précurseur, ce courant de pensée mythique a inspiré une frange de la jeunesse et ne cesse d’irriguer, aujourd’hui encore, la pensée politique, jusqu’au sommet de l’État américain.
Une alternative à TINA
Après plus d’une décennie de politique conservatrice et libérale sous la gouvernance de Margaret Thatcher, l’usage d’Internet et des ordinateurs se démocratise, et les téléphones portables font leur apparition. L’essor de la technologie est enthousiasmant pour beaucoup, mais le climat social britannique, mêlant morosité sociale et dureté économique, n’invite pas vraiment à croire aux lendemains qui chantent. À l’université de Warwick, surnommée « Red Warwick » – « Warwick la rouge » – , de jeunes chercheurs embrassent cette contradiction. Ils tempèrent l’enthousiasme numérique et le capitalisme triomphant, qui laisse croire, selon le mot d’ordre attribué à la « Dame de fer », qu’il n’y aurait pas d’alternative au système mercantile de la mondialisation et du libre-échange : « There Is No Alternative », en abrégé TINA !

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