“J’emporterai le feu”, de Leïla Slimani : ce qui reste quand on a tout quitté
Une recension de Clara Degiovanni, publié leUne nuit de novembre 2021, Mia perd le goût et l’odorat. Elle perd aussi la mémoire, qui s’étiole en lambeaux indistincts. Ainsi débute le troisième et dernier tome de la fresque de Leïla Slimani, qui suit le destin d’une famille marocaine sur trois générations – les Belhaj – de la fin de la période coloniale jusqu’aux années Covid. Si Mia a tout oublié, c’est peut-être parce qu’elle a voulu détruire ses souvenirs. C’est en tout cas le conseil de son père Medhi : « Mia, va-t’en et ne rentre pas. Ces histoires de racines, ce n’est rien d’autre qu’une manière de te clouer au sol, alors peu importent le passé, la maison, les objets, les souvenirs. Allume un grand incendie et emporte le feu. » Cet oubli volontaire est façonné par la honte et les regrets. Il repose sur un désir : celui de faire table rase, de renouer avec un horizon tout neuf, immaculé, dépourvu d’aspérités. Cette page blanche attend Mia lorsqu’elle choisit de quitter le Maroc pour étudier à Paris. Mais on n’efface pas son passé aussi facilement. Ce livre parle de ce qui subsiste quand on croit avoir tout oublié. De ce qui reste quand on a tout quitté. Archéologue mémorielle, Slimani nous immerge dans les souvenirs profonds de ses personnages : ceux qui s’ancrent dans le corps et se transmettent par les gestes et les parfums. Débarquée à Paris, Mia découvre « l’odeur des boulangeries, celle des bistrots aussi, une senteur de bières renversées et de chiffons mouillés ». Elle se met alors à rêver « des paniers remplis d’oranges et des bouquets de menthe » de son pays natal. Au fil de ce roman, Slimani s’attarde sur ce que le philosophe Henri Bergson appelle la « durée » qui concerne cette temporalité très intime, du corps, des replis et des non-dits. Medhi, le père de famille, a beau avoir fait profiter de son expérience à Mia, elle se souvient petit à petit de tout ce qu’il n’a jamais voulu dire, de ce qui gît dans les replis, les interstices. Tout comme on ne choisit pas ce que l’on transmet, on ne décide pas de ce dont on hérite, ni de ce qui reste en mémoire. C’est cette mémoire vive, cette mémoire à vif qui nous échappe toujours un peu, que l’écrivaine fait jaillir avec brio dans l’ultime tome de cette fresque.
J’emporterai le feu, le troisième et dernier tome de la fresque de Leïla Slimani, qui suit le destin d’une famille marocaine – les Belhaj – sur trois…

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