Platon, chasseur de poètes ?
Quelle est la place des artistes au sein de la société ? Sont-ils essentiels ou marginaux ? Relire Platon sur ce sujet est déstabilisant : extrémiste, le philosophe veut exclure les poètes de sa Cité idéale. Il en fait même sa priorité. Une mesure digne des régimes les plus totalitaires ou un projet politique destiné à préserver la jeunesse de ces « influenceurs » avant l’heure ?
Quand on demande aux candidats à l’élection présidentielle quelle serait la première mesure qu’ils adopteraient s’ils étaient élus, il est rare que leur réponse ait trait aux poètes. C’est pourtant ce que fait Platon dans la République avant même qu’il esquisse les principes fondateurs de sa Cité idéale, c’est-à-dire du vaste projet de réorganisation politique qu’il engage. Mais pourquoi s’attaquer ainsi à d’inoffensifs poètes plutôt qu’aux criminels ou aux voleurs ? De quoi peuvent-ils être jugés coupables, sinon de commettre de mauvais vers ? Et y a-t-il vraiment urgence à commencer par vouloir les chasser, alors qu’il y a toute une organisation politique à repenser et une société à construire ?
Qu’ils aillent chanter ailleurs !
Pour mieux comprendre ce qui a pu conduire Platon à adopter une position si sévère dans son dialogue la République, il est indispensable de se replacer dans le contexte général de cet ouvrage. La question de la place des poètes y apparaît suffisamment importante pour être abordée de manière récurrente : il en est d’abord question au livre II, puis plus longuement au livre III et, enfin, dans le dernier livre, le livre X. C’est dire l’importance qu’elle a pour le philosophe !
Après un livre I consacré à des échanges entre Socrate et quelques interlocuteurs autour de certaines idées reçues sur la nature de la justice et de la vie individuelle réussie, Platon commence en effet à s’en prendre aux poètes au livre II, avant même que la discussion sur la justice soit transposée à une plus grande échelle, c’est-à-dire au niveau politique, comme elle le sera dans l’essentiel de ce qui suit. Son interlocuteur est alors un certain Adimante… dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il est vraisemblablement l’un des frères de Platon ! La situation est donc pour le moins troublante, puisque le philosophe rapporte un dialogue entre son maître et son propre frère, comme si lui-même était divisé en deux. Toujours est-il qu’à Adimante, Socrate explique que les poètes sont nuisibles quand ils donnent une image déplorable et trompeuse des dieux, et font croire qu’il est possible d’être heureux en étant injuste et en se comportant mal : par exemple, « que les dieux font la guerre aux dieux, qu’ils se tendent des pièges, qu’ils se battent – rien de cela en effet n’est vrai », déplore-t-il. « Raconter que Héra a été enchaînée par son fils, que Héphaïstos a été jeté dans un précipice par son père parce qu’il avait voulu protéger sa mère assaillie de coups, et tous ces combats de dieux qu’Homère a mis dans ses poèmes, cela, il ne faut pas l’admettre dans la cité, que ces poèmes aient été composés ou non avec une intention allégorique » (République, II, 378b-d).
Un enjeu de politique éducative
Ce n’est pas le fait que la poésie recoure à la fiction que condamne Platon mais le type d’histoires qu’elle raconte. La différence entre celles qui sont énoncées de manière poétique ou métaphorique – ce qu’il appelle l’« intention allégorique » – et les discours qui cherchent expressément à dire le vrai (conforme à la réalité) apparaît secondaire. Est-il besoin de rappeler que Platon mentionne lui-même volontiers les mythes ? Dans sa jeunesse, dit-on, il a composé des dithyrambes, des vers lyriques, des tragédies, et même si sa rencontre avec Socrate a mis un terme à sa vocation poétique, la qualité littéraire de son écriture est absolument remarquable, pleine de style et nourrie d’images, au point d’être érigée en modèle par tous les professeurs de langue grecque encore aujourd’hui. Platon est le plus poète des philosophes.

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