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L’exploration d’un objet aussi retors et protéiforme que la connerie s’annonce fatalement grossière, au double sens d’impolie… et d’approximative. Quelle méthodologie déployer pour élaborer et tester des hypothèses ? Comment constituer des cohortes de cons à suivre au long cours en les comparant à des groupes témoins ? Qui diable, du reste, se proclamerait suffisamment épargné par le phénomène pour mener les recherches ? Si les sciences dures se trouveraient vite dans une impasse, les sciences humaines, en revanche, ont leur mot à dire : psychologues, sociologues, philosophes, historiens, politistes, linguistes et consorts apparaissent légitimes pour débroussailler la connerie vaille que vaille, son expansion individuelle et collective, ses origines, ses conséquences et nos représentations en la matière. Embrigadés par les éditions Sciences Humaines, une centaine de chercheurs se sont ainsi risqués à l’exercice au fil d’ouvrages choraux : Psychologie de la connerie (2018), Histoire universelle de la connerie (2019), Psychologie de la connerie en politique (2020), Psychologie de la connerie en amour (2023). Pour celles et ceux qui auraient manqué le début, voici un résumé.
Il court, il court, l’affreux con
Premier constat, imparable : sa géométrie variable rend le con (et toujours nous sous-entendrons : la conne) difficile à cerner. Il n’existe aucun con-étalon universellement reconnu comme tel. Le con est une question de point de vue subjectif : chacun le sien. Le con de mes amis n’est pas toujours mon con. Il est proche (trônant parfois dans notre propre famille) ou lointain (un irresponsable au pouvoir). Même Donald Trump, tête à claques de maints connologues, a ses thuriféraires, et rien ne certifie qu’après tout, les vrais cons ne soient pas ses zélateurs. Le con est multiple, mais, par quelque bout qu’on le prenne ou qu’il nous tienne, il nous nuit, nous gâche l’instant présent ou toute notre existence, nous entrave, nous étouffe, nous encombre, s’acharne ou nous ignore. On reconnaît le con au fait que la vie serait si belle sans lui. S’il n’existait pas, on pourrait se réinventer.
La connerie se ramifie, d’après notamment Pascal Engel, directeur d’études à l’EHESS : la bêtise (ou déficit d’aptitude intellectuelle) n’est pas la sottise (fatuité ou prétention), encore moins la débilité, l’imbécillité ou l’idiotie (issues toutes trois du jargon médical du 19e siècle pour désigner un retard mental). Le con n’est pas toujours inculte, il a parfois des lettres : on peut sortir de Saint-Cyr ou de la cuisse de Jupiter et se conduire en pédant ou gougnafier, se révéler brillantissime dans un domaine et embarrassant dans un autre par ignorance, arrogance ou maladresse. L’éclipse de la raison par l’émotion ne rend pas con, les deux étant aussi complémentaires qu’indispensables pour faire face à une situation d’incertitude, selon les neuroscientifiques António Damásio, de l’université de Caroline du Sud, et George Marcus, professeur émérite de science politique à Williamstown. Raisonner sans émotion du tout ? Contre toute attente, c’est déconner.