Le néolibéralisme a-t-il un avenir ?

Le néolibéralisme fait souvent figure d’épouvantail dans les débats politiques. à quoi fait-il référence ? Pourrait-il être remplacé, et par quoi ?

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De nos jours, le terme « néolibéral » est presque toujours utilisé comme une insulte à l’encontre de personnes ou de politiques supposées aller contre l’intérêt général, alors même que très peu d’économistes et de politiciens s’en réclament. L’environnementaliste et éditorialiste du quotidien britannique The Guardian George Monbiot considère même que le néolibéralisme, qu’il estime dominant dans le monde, serait la source de la plupart de nos problèmes, dans la mesure où il serait responsable de « l’effondrement financier de 2007-2008 (…), du lent effritement de la santé publique et de l’éducation, de la résurgence de la pauvreté infantile, de l’épidémie de solitude, de l’effondrement des écosystèmes et de la montée en puissance de Donald Trump 1 ». Autant dire que le néolibéralisme serait très néfaste pour la société et l’environnement. Mais en quoi ce néolibéralisme consiste-t-il ?

En première approche, on peut dire que c’est une théorie économique qui se caractérise, d’un côté, par la valorisation du libre marché et de la concurrence et, d’un autre côté, par une volonté de minimiser les réglementations et les dépenses publiques, censées étouffer la croissance. Le néolibéralisme soutient aussi que l’innovation doit être principalement portée par le secteur privé, demande une réduction des lourdeurs bureaucratiques et promet une plus grande liberté individuelle ainsi que la prospérité pour le plus grand nombre. Mais, selon ses détracteurs, ces promesses n’auraient pas été tenues. Aussi entend-on souvent dire qu’il faut en finir avec le néolibéralisme.

Ce rejet soulève toutefois nombre de questions. Le néolibéralisme est-il vraiment distinct du libéralisme ? Est-il aussi dominant qu’on le dit souvent ? Est-il responsable des maux dont on l’accuse ? A-t-il un avenir ? Et par quoi pourrait-il être remplacé ?

Une critique du laisser-faire

Parmi les moments fondateurs du néolibéralisme, on cite souvent un colloque organisé à Paris en 1938 autour du livre de Walter Lippmann, La Cité libre (1937), qui, sans remettre en cause les vertus du marché, critique le laisser-faire en matière de politique économique. Pour les libéraux, au sens classique du terme, une économie fondée sur les règles du marché mène à la paix sociale et à la prospérité matérielle. Mais W. Lippmann fait remarquer qu’une bonne politique libérale demande une intervention constante de l’État pour adapter l’économie à l’évolution des modes de production et pour assurer une juste concurrence entre les acteurs économiques. Ce libéralisme, qui assume l’intervention de l’État pour assurer le bon fonctionnement de l’économie, est alors désigné sous le vocable de néolibéralisme, sans qu’on sache bien s’il s’agit d’une nouvelle forme de libéralisme ou de la réaffirmation des valeurs fondamentales du libéralisme.

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Mais c’est surtout la Société du Mont-Pèlerin, groupe de réflexion créé en 1947 lors d’une conférence au Mont-Pèlerin, village suisse, qui incarne le néolibéralisme. On y retrouve notamment les économistes Milton Friedman, Friedrich Hayek et Ludwig von Mises. La Société naît en réaction à la diffusion dans de nombreux pays, d’abord à la suite de la crise de 1929, puis surtout après la Seconde Guerre mondiale, d’une part, du marxisme et, de l’autre, du keynésianisme, qui est une politique économique où l’État interfère avec le marché, notamment en stimulant l’économie par d’importants investissements publics. À la place, les membres de la Société du Mont-Pèlerin défendent le libre-marché et font davantage confiance, en matière d’efficacité, au secteur privé qu’aux institutions publiques pour gérer nombre de services. Très attachés à la liberté, ils soutiennent en effet que, pour la préserver efficacement au sein de la société, il faut que le pouvoir et l’initiative économique ne soient pas concentrés dans quelques mains, fussent-elles celles de l’État, et que le marché soit régi par une juste concurrence.

Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1970, avec l’augmentation du chômage et de l’inflation dans les pays occidentaux, que le keynésianisme commence à décliner et que le néolibéralisme inspire de plus en plus de politiques économiques, notamment celle de Margaret Thatcher au Royaume-Uni (1979-1990) et de Ronald Reagan aux États-Unis (1981-1989). Dès son arrivée au pouvoir, le second réduit ainsi les impôts et diminue les dépenses de l’État, sauf celles pour l’armée qu’il augmente fortement. L’idée derrière cette politique est que la réduction des impôts permet d’accroître la croissance économique qui génère des revenus pour l’État, qui peut alors financer ses dépenses de fonctionnement et d’aides sociales. Mais, en raison de l’ampleur à la fois de la réduction des impôts et de l’augmentation du budget militaire, le programme de R. Reagan entraîne un fort déficit. Ce qui peut être vu comme un échec pour une politique néolibérale. De même, si cette présidence est marquée par une forte dérégulation, notamment dans les domaines des télécommunications, de l’aviation et de la finance, elle ne remet guère en cause les mesures protectionnistes aux frontières et ne peut donc être vue comme pleinement au service du libre-échange.