Si vous visitez le Japon, vous ne manquerez pas de rencontrer sur votre chemin un sanctuaire shintô (ils sont environ 100 000) : ce sont des lieux de culte où l’on vient vénérer un kami. L’un des kamis les plus populaires est Inari, représenté par un renard en pierre. On lui dépose parfois des offrandes (souvent une petite pièce) dans l’espoir d’une protection en retour. À proximité, on peut aussi visiter un temple bouddhiste ; à l’intérieur se trouve un autel qui comporte une statue de Bouddha, un chandelier, une clochette et un brûleur d’encens. Ces choses paraissent étranges : elles ne le sont guère plus que de voir dans une Église chrétienne des gens s’agenouiller devant une croix représentant le « fils de Dieu » crucifié il y a plus 2 000 ans. À La Mecque, tous les ans, des millions de gens se rendent en pèlerinage pour tourner en priant autour de la Ka’aba, un grand édifice cubique noir et blanc. Que l’on soit ou non croyant, les religions, avec leurs croyances et rituels ont quelque chose de doublement étrange.
La première étrangeté provient des idées véhiculées : ici, il est question d’un Dieu qui aurait créé le monde en six jours, se serait reposé le septième puis, mécontent de sa création, l’aurait ensuite noyé dans un déluge avant de permettre à quelqu’un de recommencer. En Inde, il est question d’un dieu à forme humaine et tête d’éléphant et de divinités à plusieurs bras… Le Coran nous enseigne que Dieu aurait subitement décidé de venir parler à un marchant bédouin qui circulait dans les déserts d’Arabie, il y a 1 400 ans.
La seconde étrangeté des religions provient de ce fait : toutes sont différentes et toutes se ressemblent. Quels que soient les lieux et les époques, des Aborigènes australiens aux chrétiens orthodoxes en passant par la religion de la Santa Muerte au Mexique, toutes les religions véhiculent un arsenal similaire de croyances et de rituels. Elles sont à l’origine de cérémonies où l’on chante, danse et évoque des dieux invisibles.
Un vaste spectre de cultes
Mais comment tout cela est-il possible ? Comment les gens peuvent-ils croire et faire des choses pareilles ? Voilà l’énigme de la religion. Voilà un défi pour quiconque s’intéresse à la condition humaine.
On désigne sous le nom de religion un vaste spectre de cultes qui comprend les grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam), les spiritualités d’Orient (hindouisme, tantrisme, taoïsme, bouddhisme), les cultes polythéistes, avec leur panthéon de divinités mi-humaines mi-animales que l’on retrouve dans l’Antiquité romaine, grecque, égyptienne mais aussi chez les Incas, Aztèques, Mayas. Le mot « religion » recouvre aussi les cultes plus anciens encore : chamanisme, totémisme, animisme que l’on a pu observer dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs et que l’on imagine remonter aux premiers cultes de la préhistoire.
On peut enfin trouver des ingrédients du sacré hors de la religion, dans d’autres domaines de la vie sociale. Certains croient ainsi à l’existence des fantômes, c’est-à-dire à la présence d’esprits invisibles, sans pour autant en faire l’objet d’un culte. À l’inverse, les cultes ne sont pas toujours liés à la foi dans des forces supranaturelles : le culte des idoles se retrouve dans le sport, la politique et génère cérémonies et grands-messes. Raymond Aron a même forgé le concept de « religion séculière » pour désigner le communisme ou le fascisme, « doctrines qui prennent dans les âmes de nos contemporains la place de la foi évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous la forme d’un ordre social à créer, le salut de l’humanité 1 ».
En réalité, en 150 ans d’existence, les sciences des religions (histoire, anthropologie, sociologie…) ne sont pas parvenues à une définition canonique de la religion.
◊ Un schéma universel ?
On peut toutefois sortir de cette difficulté en se demandant ce que les religions ont vraiment en commun. Or, quand on compare la riche panoplie de croyances religieuses, on peut repérer quatre éléments fondamentaux : 1) l’existence d’un monde de l’au-delà habité par des divinités et des esprits ; 2) la présence d’un culte, destiné à honorer les dieux, à s’attirer leurs faveurs ; 3) la présence de règles et valeurs destinées à régler la vie collective ou personnelle ; 4) la présence de « spécialistes du sacré » qui assurent le lien entre le monde d’ici-bas et le monde de l’au-delà.
♦ Le monde des esprits
La marque de fabrique d’une religion, c’est d’abord l’existence supposée de l’au-delà : un monde invisible et immatériel habité par des esprits. Il peut s’agir d’un Dieu unique pour les monothéistes, ou d’un panthéon de divinités secondaires pour les polythéistes, tels Zeus, Apollon, Héra, Poséidon, Athéna, Dionysos, etc., chez les Grecs, ou l’Empereur de jade et les maîtres célestes dans le taoïsme. Les êtres invisibles prennent aussi la forme des esprits animaux, de l’esprit des ancêtres, des anges, des démons 2. Au Bénin, on les appelle les vodun, au Japon des kamis ; ces esprits sont représentés par des figures – masques, statuettes, statuts, croix, icônes. Seuls le judaïsme, le christianisme orthodoxe et l’islamisme interdisent les représentations de Dieu.