Quoi de plus naturel que de souhaiter que les enfants soient heureux à l’école ? Quoi de plus consensuel que la quête du bonheur ? Cette idée intuitive cache pourtant l’une des plus anciennes questions métaphysiques, qui n’en finit pas de diviser les scientifiques : « Il n’existe à l’heure actuelle aucun modèle théorique validé pour définir le bien-être en général, et le bien-être scolaire en particulier », affirme Philippe Guimard, professeur de psychologie à l’université de Nantes et coauteur en 2017 d’un important rapport scientifique sur le sujet 1. À l’origine du problème, un manque d’interdisciplinarité pour unifier la foisonnante littérature scientifique internationale : « Depuis les années 1960, de nombreuses disciplines – psychologie, sociologie, économie, médecine – se sont emparées de la thématique du bien-être, mais leurs conceptions différentes du bien-être n’ont fait que complexifier le concept », explique le chercheur. À l’heure actuelle, seule l’approche de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fait réellement consensus : le bien-être des élèves y apparaît indissociable de leur bonne santé, définie depuis 1946 comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». En France, cette vision hégémonique a longtemps cantonné le bien-être des élèves au domaine sanitaire et social, au détriment de sa dimension éducative 2 : en effet, si la prise de conscience que l’école peut être le lieu de violences remonte aux années 1990, il faudra attendre 2012 pour que le bien-être subjectif des élèves fasse son apparition dans les textes officiels 3. De ce retard, découle une certaine confusion, comme en témoigne la grande variété de termes – qualité de vie, satisfaction de vie, bien-être – convoqués presque indifféremment par les acteurs éducatifs français. À cela s’ajoute une autre difficulté, celle de s’entendre sur la mission de l’école dans cette quête du bonheur comme le souligne François Durpaire, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation et cofondateur du laboratoire Bonheurs à l’université de Cergy-Pontoise. : « Le bonheur à l’école est le plus souvent réduit à sa dimension hédonique, qui vise à rendre les élèves heureux pour apprendre. Rassurante, cette approche ne remet pas en cause l’école dans ses pratiques et se contente de les optimiser. Mais c’est oublier que le bonheur ne se limite pas au bien-être immédiat mais renvoie aussi à une dimension “eudémonique”, au sens qu’on donne à sa vie : dès lors, l’école doit-elle seulement être le lieu où il faut être heureux pour apprendre, ou également celui où on pourrait apprendre à être heureux ? »
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Bonheur d'apprendre et d'enseigner
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